Adolphe Deville
Adolphe Deville est né le 13 novembre 1935 à Hespérange et décédé le 28 mai 2022 à Esch-sur-Alzette. Luxembourgeois de naissance, l’artiste peintre connait une carrière brillante après des études à l’Ecole Supérieure d’Architecture de Paris et à l’Académie des Beaux-Arts de Peinture d’André Lhôte (qui deviendra son maitre).
Dès 1954 et jusqu’en 1992 Adolphe Deville n’aura de cesse de voyager en Italie, dans le Sud de la France et aux Etats-Unis, pour découvrir de nouveaux paysages, de nouvelles lumières qui inspireront la totalité de son oeuvre.
Aquarelles, huiles, sculptures, mosaïques, vitraux, bijoux.. L’oeuvre de l’artiste est protéiforme mais se caractérise par une profonde unité. Le contrôle parfait des volumes, l’exubérance des couleurs, la vivacité de la lumière créent cet éblouissement auquel l’oeil du spectateur ne saurait se dérober.
- 1954-1962
- Voyages d’études en Italie (Ravenne et Venise) pour l’archéologie, l’architecture et la mosaïque.
- 1957 – 1961
- Etudes d’architecture à l’Ecole Supérieure d’Architecture à Paris, puis inscription à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Peinture d’André Lhote à Montparnasse.
- 1961 – 1962
- Etude à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts “Städelschule” de Francfort-sur-Main
- 1962
- Stage en archéologie au Musée de Trèves et participation aux fouilles des thermes impériales
- A partir de 1964
- Professeur d’éducation artistique au Luxembourg
- 2022
- Adolphe Deville : Retrospective, Musée Paso, Drusenheim
- AD. Deville, sa vie, son oeuvre, Schëfflenger Konschthais, Schifflange
- 2016
- Retrospektive – Aquarelle, Ölmalerei und Mosaiken, Esch Theater, Esch-sur-Alzette
- 2010
- Deville A : Atelier Blumen, Pavillon du Centenaire, Esch-sur-Alzette
- 2008
- Konscht Fir D’Liewen (exposition collective), Galerie du Pavillon du Centenaire, Esch-sur-Alzette
- 2004
- Adolphe Deville : Oeuvres, Esch Theater Galerie, Esch-sur-Alzette
- 1995
- Vin, vignes, mosaïque, Cave de Wellenstein-Bech-Kleinmacher, Wellenstein
- Adolphe Deville : aquarelles, huiles, mosaïques, Galerie Sunnen, Bech-Kleinmacher
- 1994-95
- Série Limitées VIII, art & vin, Chateau de Stadtbredimus
- 1988
- Exposition Adolphe Deville, Galerie Sunnen, Bech-Kleinmacher
- 1985
- 4 artistes luxembourgeois, UNESCO, Salle des pas perdus, Paris
- A. Deville : Mosaïque – Huile – Aquarelle, Foyer Européen des Beaux-Arts au Luxembourg
- 1980
- Deville AD : peintures à l’huile et aquarelle, Galerie d’art municipale, Esch-sur-Alzette
- 1970
- Deville, exposition personelle, Mainz
- 1966
- La Provence vue par Adolphe Deville et Herbert Welfertz, Galerie Le Studio, Luxembourg
- 1960
- Fondation Belge, Exposition collective, Fondation Biermans-Lapotre, Paris
Le nouveau Luxembourg, Reflets de l’Imagination
N° 7 – automne/hiver 1986
MAGAZINE
Ad. Deville
Paysages éclatés en mille couleurs
Jean-Michel Klopp
La nuit tombe, lentement. Près des bergers de la nuit, il y a un homme, grand, le regard franc, le mot sensible, l’intonation de la voix amicale! Un faible vent bruit, il fait excellent dehors… Ad. Deville, dans quelques instants va me serrer la main. Sa femme, si tranquille, si douce, est là aussi, ainsi que le chien, le chat. Ma première soirée chez les Deville s’achève.
Un premier contact avec l’artiste, son oeuvre, ses rêves. Un coup de coeur… oui c’est ainsi que je puis appeler mon émotion pour ces travaux si poétiques, si sensibles.
Je vous invite à découvrir un artiste peintre luxembourgeois qui se crée une place au soleil dans l’art de notre pays, ainsi qu’à l’étranger. Deville est un artiste vrai et ce, dans le meilleur sens du terme!
Chez. Deville…
En arrivant chez Deville, soudain, le monde bascule. Immédiatement tout un univers de poésie s’impose, éclate. Rien n’est indifférence. Tout est magie. Magie capturée. Ici, j’affirme que le mot re-création est utilisé à bon escient.
Ad. Deville n’a-t-il pas, en effet, redonné vie, saveur, mystere, à ce vieux presbytère de Schifflange, voué à la destruction! Voué certainement à une destruction sans pincement de cour, parce que terriblement décidée par d’irresponsables personnes, bien incapables de rêver même un seul retour aux sources. Il y a ici ouvre de chair, de vie, de puissance, et le résultat, poignant, beau, est ce presbytère de Schifflange, où l’art contemporain de Deville s’unit si delicatement, si délicieusement avec les objets, les murs, les antiquités.
Et puis, il y a aussi ce parc, situé derrière la bâtisse. Parc-forêt, parc-parterres fleuris, parc-verdure. Où l’on aimerait rêver un peu plus sou-vent. Où l’on aimerait même faire un bond en arriere, pour surprendre des confidences, des délices, des retraites, des unions paisibles ou orageuses avec Dieu.
Un ange à l’oie écoute le chant des oiseaux. Nu, il lui faut à peine quelques secondes pour se baigner dans l’eau limpide d’une source. Une sorte d’espace pour l’art.
Entrons. Fermons la porte. Ou, permettez-moi plutôt de la laisser ouverte. L’odeur qui nous vient du dehors est si bonne, si fraîche, si parfumée.
Le presbytère est spacieux. Les murs épais. Tout est bien à sa place. Il faut se laisser sur-prendre, aller d’étonnement en étonnement.
Comme un enfant se laisse prendre par la main.
Par la main de l’imaginaire en liberté… Aux murs. Deville et encore Deville et toujours Deville. Adolphe d’hier. d’aujourd’hui, mais aussi et déjà de demain. Partout également des objets du passé, des madones surtout… des statues, des ornementations d’église… et ce vieux flipper au fond de l’atelier. La vaste cheminée invite au rêve et l’évier creusé dans la pierre a connu bien des vaisselles!
Dans cet univers «d’Ad. au pays des merveilles», un chat noir ronronne, un amour de chien au poil brun, court sur pattes, vientsans cesse récolter quelque caresse. La fille de l’artiste contribue à la gaietés à la bonne humeur de la maison. Son épouse apparait, le temps d’un bonsoir, ou d’une amicale causerie.
La Provence.
L’amour pluridimensionnel envers les choses du passé, l’ancien presbytère, la prèsence de jeunesse en classe, toutes ces choses font l’oeuvre de Deville. Un Deville sûr de lui-
maitre à bord du navire de la création!
Quelques décennies en arrière
Voir l’oeuvre de Deville, c’est saisir le peintre, comprendre, réaliser que cet homme est né pour l’art, la poésie de tous les jours.
La section industrielle au Lycée d’Esch-sur-Alzette terminée, Deville passe son admission à l’Ecole spéciale d’Architecture à Paris. Le boulevard Raspail ne le verra pas longtemps fréquenter son asphalte. Une maladie ne lui permettant certainement pas de travailler à l’extérieur par toutes sortes d’intempéries le fera changer de direction.
Il connaît deja la vivacité, l’ampleur de sa passion pour la peinture. Inscrit aux Beaux-Arts de Paris, il fréquente pourtant avec plus de ferveur les cours chez André Lhote à Montparnaux, pendant deux années. Lhote, artiste cubiste internationalement coté sera un professeur complet. N’est-ce pas lui qui un jour a dit
«Dire du bien des autres équivaut pratiquemen à dire du mal de soi»…
Ensuite, d’excellents professeurs lui apprendront d’autres techniques à la “*Staatliche Hochschule for bildende Kunst” de Francfort.
Ces années passées à l’étranger vont le confronter à la décoration. Décoration du «Grand Bar des Luxembourgeois» par exemple, puis pour diverses piêces de théâtre.
En 1962, Ad. Deville sera nommé professeur de dessin, d’histoire de l’art au Lycée d’Esch sur Alzette.
Deville et le théâtre
Blanche Weicherding-Goergen ancedote délicieusement son propre coup de coeur pour les décorations de Deville: «Un jour je m’en allais dans son Lycée à Esch-sur-Alzette regarder la pièce de théâtre “Männeraus Eisen”*. qu’Ed. Maroldt avait écrite et mise en scène avec des étudiants. En entrant dans la salle, j’étais émerveillée. J’avais compris.
Enfin! Deville, c’est notre grand décorateur de théâtre. Ses décors, réalisés avec les moyens du bord, étaient frappants.
N’avez-vous jamais pensé que Deville pouvait être l’homme destiné à décorer le nouveau Théâtre de Francfort? Et ne pensez-vous pas qu’il serait un des seuls à savoir comprendre la “Semper-Oper” de Dresde? Je pense que dans le cadre de l’idée grandiose de Semper Deville pourrait enfin se réaliser. Il est fait pour les grandes surfaces; il a la compréhension de l’architecture ancienne. Tout simplement.J’aimerais aller voir son décor à Dresde.»
Deville et l’histoire
Il ne le niera certes pas. Même si vous le dénoncez, en disant: «Monsieur, votre goût pour les vieilles choses est un péché.»
Oui. Deville est un passionné d’architecture et d’histoire. Très jeune, il a effectué gratuitement de nombreuses fouilles pour le Musée de Trèves. Avec Georges Calteux, Deville mènera un véritable combat pour sauver des prestiges de notre patrimoine national: Loeschenhaus – Chateau Bervart – Maison Meder. Son engagement pertinent dans des associations comme «Sauver la Ville» – «Sites et Monuments» lui permettra de lutter encore avec plus de vigueur, pour sauver ce que certains décident de détruire bêtement.
Membre fondateur de la Société d’Actionnaires
«Vieux-Luxembourg», il a lui-même, avec son argent, entrepris un jour de sauver une construction vouée à la destruction: l’ancien presby. tère de Schifflange où il réside aujourd’hui. Presbytère dont j’ai eu le plaisir de brosser l’ambiance, la poésie, la grâce.
Les couleurs d’Ad. Deville
Les huiles, aquarelles, mosaiques de Deville reflètent un besoin sincère d’expression lumi. neuse. Partout l’éclatement, l’éclaboussure des couleurs. Des couleurs placées, réalisées avec beaucoup de maitrise.
La perfection de Deville a éclaté subitement, après sa rencontre presque fatale avec Dame Mort. Aujourd’hui Deville évite stress et fatigues dangereuses. Il prend plus le temps de vivre. se disperse moins. Ses toiles sont de véritables passions. Sans légéreté, ni facilité, elles permettent pourtant, même aux non-initiés, de percer, voir le sujet, d’y entrer avec sérénité. C’est dire là que l’oeuvre de Deville plait.
Blanche Weicherding-Goergen aide à mieux saisir le talent de Deville:
«Examiner les dernières aquarelles de Deville n’est pas chose facile. Il faut un fond de musique. Allez donc les contempler avec Debussy ou Fauré et vous y trouverez toute la tendresse que peut mettre un être humain adorant la nature.»
En quelques mois, il s’est lancé dans la perfec-tion. Ses ciels sont impeccables. Il réalise des surfaces de jaune et de gris étonnantes par leur simplicité et leur pureté.
La Provence
Il y a d’innombrables Provences: autant que d’artistes qui l’ont peinte, qui l’ont fait vivre dans leurs contes, dans leurs romans ou dans leurs films. La Provence de Mistral et celle de Van Gogh, de Giono et de Cézanne, de Pagnol et de Daudet! Les Provençaux sont fiers de leurs vaste jardin et vous invitent à partager leur amour d’un pays qui a formé leur caractère.
(Voir La Provence par Jean-Paul Clébert aux Editions Nathan.) Deville aime la Provence et depuis bien des années, il y séjourne de longs mois, d’interminables saisons, pour y cueillir les fruits de rencontres étonnantes.
La Provence change sans cesse de visage, de parure. Deville saisit les couleurs, les formes et nous dévoile ainsi sa communication avec le paysage. Les maisons sont là, parfois il les ignore ou encore invente merveilleusement la silhouette de la femme, dans ses compositions.
Les fantômes de Provence, la nuit, quand les collines deviennent d’un bleu profond, l’inspirent avec autant de réussite qu’un fier château, au loin, sur un rocher, ou encore qu’une fête provençale.
La Provence a perdu en tranquillité. Des scènes burlesques, folles, sacrilèges s’y déroulent sou-vent. De drôles de gens ont envahi sa poésie et leur mariage avec le décor n’est pas toujours une réussite.
Mais, la Provence de Deville est chargée de mystère, de poésie, d’amour. Son oeuvre est à savourer dans un calice précieux, tant elle regorge de puissance humaine.
Au pays des mosaïques
Elles sont colossales les mosaïques de Deville. Pleines de charme, de couleurs, au même titre que ses huiles ou aquarelles.
A Ravenne, Deville s’est associé au travail du mosaïste Signorini, pour créer des mosaïques où une force d’expression personnelle est portée par la qualité d’exécution et la sensibilité du mosaïste.
Une lutte permanente
Deville est un artiste à la volonté implacable et seule une lutte permanente lui a donné la possibilité d’atteindre aujourd’hui certaines des plus hautes sphères de la création. Il n’a pas de souci non plus à se faire pour le marché international de l’art. Là aussi, son chemin et son destin sont déjà tracés.
Blanche -Weicherding-Goergen , critique d’art luxembourgeoise, de 1985 lors d’une exposition d’Adolphe Deville
Si Deville m’était conté.
Il est là. Devant moi. On dit qu’il a cinquante ans. Il est grand, élancé, mince. Son teint est tout en grisaille. Ses lèvres minces et fines sont retroussées dans ce sourire malin, taquin, rieur, provocateur, sensuel, sou-verain, que vient de renforcer l’éclat étincellant de ses yeux aux couleurs indéfinissa-mbles, qui disent mieux que chaque toubib qu’il sait vaincre toute maladie, qu’il est artiste, que son dynamisme est pire que jamais, qu’il a gagné cet été une des plus importantes étapes de sa carrière en jouant des gammes absolument fermes dans l’aquarelle.
Je connais Deville depuis l’instant où il a fait ses premières peintures de grand format à la Fondation Biermans-Lapôtre à Paris.
Lui qui se destinait à l’architecture, avait soudain viré pour la peinture. Il s’était inscrit à l’Ecole Spéciale d’Architecture, puis à l’Académie des Beaux Arts de Paris et chez André Lhôte à Montparnasse.
A un moment donné les étudiants lui avaient demandé de décorer leur salle pour le “Grand Bal des Luxembourgeois”. Il avait dit: “Oui”, comme il dit toujours oui quand on lui demande le moindre des servi-ces. Je ne connaissais pas cet artiste qui portait toujours un pull gris et qui avait à l’époque exactement le même visage qu’au-jourd’hui. J’étais allée tard le soir l’observer dans sa démarche décorative. Naturellement, il ne m’adressait pas la parole. Il était plus âgé que moi. Et si l’on connaît le milieu estudiantin, c’était l’évidence même.
Une jeune fille qui osait – oh combien trop jeune – se mêler d’une décoration! Il avait peint sur du gros papier un chaudron, …. et dedans des femmes. Elles avaient toutes les dimensions de Hélène Fourment, la femme de Rubens. Il peignait des nuits entières.
Pour faire plaisir. Mais lui aussi se faisait son malin plaisir. Devant lui le grand carton vide l’attirait. Se doutait-il déjà à cette époque de son talent de décorateur? Non!
Je ne le pense pas. Moi non plus je ne réalisais pas cette ampleur jusqu’au jour où je m’en allais dans son lycée à Esch-sur-Alzette regarder la pièce de théâtre “Männer aus Eisen”, qu’Ed Maroldt avait écrite et mise en scène avec des étudiants.
En entrant dans la salle j’étais émerveillée.
J’avais compris. Enfin! Deville c’est notre plus grand décorateur de théâtre. Ses décors réalisés avec les moyens du bord étaient frappants. Et moi. J’étais là dans la salle comme autrefois étudiante. J’observais et je dus me dire: Non. Je ne pourrais pas l’aider à réaliser un décor de théâtre pour le Nouveau Théâtre de la Ville de Luxembourg, ni même pour celui d’Esch-sur-Alzette. J’en eus le cœur gros et pendant la scéance théâtrale durant laquelle je n’écoutais plus rien, je pris la ferme décision de travailler dur pour ouvrir à nos artistes le marché international. Pourrir dans un bled, est infecte!
Aujourd’hui, dimanche, mon bureau est bourré de dessins, d’aquarelles de Deville.
Le temps est venu maintenant qu’il sorte de ces piètres frontières nationales.
N’avez-vous jamais pensé que Deville pouvait être l’homme destiné à décorer le nouveau Théâtre de Francfort? Et ne pensez-vous pas qu’il serait un des seuls à savoir comprendre la “Semper-Oper” de Dresde?
Je pense que dans le cadre de l’idée grandiose de Semper, Deville pourrait enfin se réaliser. Il est fait pour les grandes surfaces; il a la compréhension de l’architecture ancienne. Tout simplement j’aimerais aller voir son décor à Dresde.
Connaissez-vous Deville? Son prénom est Adolphe. Quoi de plus affreux. Je lui écris sur toutes mes lettres “Adoleff. Je l’appelle soit “Ad” soit “Ady”. Non! Là je mens!
Sa fille, qu’il adore et sa femme dont le dévouement est impayable, l’appellent “Ady”. Nous, les anciens de Paris, ses copains d’aujourd’hui on lui crie: “Ad, on a besoin de toi”. Et lui n’a qu’une réponse: “Oui, naturellement! Quand et à quelle heure?” Dans toute votre vie vous trouverez si peu d’amis qui ont ces mots. Lui, il les a toujours. Du point de vue humain l’artiste Deville ne connaît pas l’égoïsme. Et ce facteur est rare – je dirais même rarissime, chez les artistes. Tous ont tendance à monter dès les jeunes années sur le deuxième échelon et à regarder le monde de très haut.
C’est la cause d’ailleurs de leurs échecs. Et le mal qu’ils en prennent n’est que normal.
Deville au début de son séjour à Luxembourg habitait un méchant appartement à Esch-Lallange jusqu’au jour où il se décida de faire une solide dette et d’acheter la maison paroissiale de Schifflange datant du XVIlle siècle et devenue vide.
Il la décora avec sa fantaisie innée, avec son amour des anciennes statues, des vieilles pierres et en même temps avec une note qui m’a toujours parue un peu macabre. Il a de l’humour noir. Dans ses vitrines, les Vierges espagnoles habillées de leurs robes anciennes et poussiéreuses côtoient des angelots baroques, des sculptures romaines. Il adore le patrimoine architectural du pays et sa collection mêlée à ses tableaux qui souvent reflètent son grand amour pour André Lhôte, son maître, est tout à fait installée pour désarconner le meilleur amateur d’art.
Il y a plusieurs années, Deville s’est lancé dans la mosaïque. Il y met toute sa puissance, son amour de la vie, son respect pour les traditions anciennes. Il réalise ce que prêchent médiocrement et le Conseil de l’Europe et l’ICOMOS: l’intégration du moderne à la tradition ancienne. Il est une des figures dominantes de notre mosaïque; je lui ai toujours conseillé de suivre cette voie, mais quidam a-t-il compris son effort intellectuel et physique?
Deville est un artiste engagé. La force qu’il emploie chaque jour pour réaliser ses désirs propres est énorme. Il y a si peu de gens qui comprennent l’engagement complet.
Lorsqu’un jour je lui téléphonais pour lui annoncer: “Il faut restaurer au Grund. J’ai besoin de toi.” Il n’avait qu’une réplique.
“D’accord. C’est conclu, Mais je n’ai pas de sous. Je vais de ce pas faire un emprunt à ma banque. Je ne pourrai donc pas être chez toi avant telle heure.” Et Deville est devenu sans hésiter membre fondateur de la société “Vieux Luxembourg”. Je voudrais relever ce fait parce que malgré les accrocs que lui a joué sa santé, il a tenu bon et il tiendra bon jusqu’à la fin.
Son exposition de 1985 est une gageure avec la vie ou avec la mort. Ses huiles demandent un recul d’au moins quatre mètres pour livrer leur profondeur. En un an il a mûri plus que la vie normale lui aurait permis d’évoluer en une dizaine d’années. Le plus grand péché à faire, est de regarder ses empâtements à 20 cm de distance. Reculez mais reculez donc! Voyez-vous cette immense profondeur des paysages de Provence qu’il adore tant.
Ses dernières aquarelles font de lui le meilleur augarelliste vivant à Luxembourg. Sa technique est parfaite. Il est possible de dé couper dans une seule œuvre des surfaces de 10 x 10 cm. Toute la composition se tient toujours. Il n’y a plus de hasards, il n’y a plus d’imprévus. Je les ai longuement contemplées des journées entières pour comprendre le sens que leur vouait un homme décidé à maîtriser tous ses médecins. Dans une œuvre comme “la Tourmente”, il se défoule entièrement et ne se gène point à y méler ce grain de folie qui veut qu’il n’est pas l’épicier du coin. Van Gogh s’était coupé une oreille. Lui, ne le fait pas, mais l’esprit de ce maître est tout proche.
Examiner les dernières aquarelles de Deville n’est pas chose facile. Il faut un fond de musique. Allez donc les contempler avec Debussy ou Fauré et vous y trouverez toute la tendresse que peut mettre un être humain adorant la nature. Mais dans une de ses dernières œuvres, il n’y avait que la Sheherazade de Rimsky-Korsakov qui pouvait me laisser éveillée jusqu’à 2 heures du matin pour comprendre la poésie, le jeu, l’harmonie du moindre des détails.
En quelques mois, il s’est lancé dans la perfection. Ses ciels sont impeccables. Il réalise des surfaces de jaune et de gris étonnantes par leur simplicité et leur pureté.
Encore une fois il a gagné. Sa lutte a été dure et son sourire ne peut cacher les heures de travail assidu.
Une lutte permanente avec la vie qui lui jouait de très mauvais tours, une volonté implacable, nous donnent aujourd’hui la mesure de l’artiste qui brise d’un coup nos fragiles frontières et qui sera reconnu comme un peintre européen de valeur et n’a pas besoin de se faire le moindre souci sur le marché international de l’art.